Ce qui vient au monde pour ne rien troubler,
ne mérite ni égard ni patience.
René Char
*Introduction*
Cette série d’éléments constitue un terreau familier de l’artiste qui lui permet d’élaborer une iconographie parfois infâme et politiquement incorrecte ou le rire est une ouverture, une possibilité de réflexion, une prise de position.
Au-delà de ses thèmes de prédilection, Ronald est obsédé par l’image, par sa fugacité et son flot incessant. Il tente à la manière d’un médecin légiste de trouver la réponse sans qu’aucune question ne soit posée. Il expérimente et tel le savant fou il opère les images, il les maltraite, pour en capter l’essence : une quête impossible qui est le moteur de son imaginaire et de sa créativité.
1*Plumer les images*
Des images donc, qui montrent le spectacle du monde, mais qui sont décontextualisées, amalgamées en une distorsion de l’espace et du temps. Par son questionnement de l’image, Dagonnier cherche à provoquer l’étonnement chez le spectateur et pour le mettre à distance il use de tous les stratagèmes possibles.
Dans une œuvre intitulée la faim de l’image (date), il compile des centaines de clichés qui deviennent un motif annihilant toutes possibilités de lecture. Cet assemblage de photographies crée un mouvement, un rythme, en une sorte de stroboscope. Non sans rappeler Alex, le personnage principal d’Orange mécanique lorsqu’il subit une thérapie expérimentale durant laquelle on le force à regarder la violence, dans la faim de l’image le procédé est similaire (même s’il ne permet qu’une compréhension fragmentaire), car l’artiste impose tout à l’œil en un maelstrom d’éléments dont nous ne parvenons à extraire que quelques bribes mais c’est bien le tout, la quantité astronomique qui nous écrase et fait violence ; le regardeur est ainsi fragilisé et soumis. Violence également à l’encontre des images car l’accumulation à l’excès prive chacune des images de sa valeur, qu’elle soit informative ou esthétique. L’amoncellement des images conduit à une saturation dans laquelle intervient directement la notion de temps : si l’on parvient à saturation, c’est que le temps nous manque pour assimiler ce flot incessant. Comme le précise Henri Bergson : « le temps est ce qui empêche que tout soit donné d’un seul coup. Il retarde ou plutôt il est retardement ».
La donnée « temps » est un moyen de travailler l’image mais l’espace est également une donnée très importante dans le travail de
L’artiste pousse plus loin son travail d’autopsie des images avec une œuvre intitulée trash politique (2007) ; ce travail met en place un dispositif original de projection vidéo sur de la fumée (et dans une poubelle s’il vous plaît), ici ce sont des hommes politiques qui se succèdent en énonçant des discours inintelligibles (la vitesse de défilement étant accélérée, il est difficile de capter clairement la bande-son), survient au final un Andy Warhol désabusé qui mange un hamburger. Mais ce qui retiendra ici toute notre attention, c’est l’idée de matérialité de l’image :
Revenons à l’œuvre intitulée La faim de l’image et qui semble mener à la fin de l’image en une abstraction : au sens d’abstraire du réel, empêcher
Cette mutilation des images s’inscrit également dans une démarche de maltraitance de l’Art de manière plus générale et pose ainsi la question de la réalité marchande des œuvres. Problématique très chère à l’artiste et ce, sur plusieurs niveaux, au sens matériel (vendre du zéro et du un) mais aussi au sens du contenu.
2*Art de la répartie : du semeur de doute au fauteur de trouble*
Mais ici l’irrévérence est également la possibilité d’une réflexion sur le statut de l’objet d’art, sa portée esthétique et bien entendu sa réalité marchande.
L’œuvre intitulée Toilettes, une installation réalisée en 2007, se compose d’une série de vidéos diffusées par un écran en forme d’urinoir. Basées sur le même principe d’image en stéréovision, ces vidéos présentent les latrines de plusieurs endroits du monde, notamment celles du MOMA, référence évidente à Marcel Duchamp avec la question de la nature de l’œuvre d’une éternelle actualité. Mais ici la citation prend une dimension humoristique de par le dispositif et semble irrévérencieuse à l’égard de la référence historique. En effet en revisitant l’œuvre qui fut l’un des marqueurs les plus important du 20ème siècle pour l’histoire de l’Art (et qui pèsera sur les épaules de toutes les générations d’artistes suivantes) Ronald joue à une mise en abîme pour inverser l’expression : être condamné, jugé par ses pairs. La charge historique que les artistes doivent assumer continuellement par le jeu des références et du déjà-vu est ici pointée du doigt mais également, permet de faire la démonstration d’une systématisation du ready-made.
Mais si
L’installation Les boules de noël réalisée en 2006, pousse plus loin la logique de l’infamie en mettant en scène des boules transparentes dans lesquelles sont visibles des images d’enfants décharnés de l’ancienne République du Biafra ou de Somalie ainsi que les portraits de dirigeants des pays les plus riches mêlés aux dictateurs et autres terroristes, sans oublier les scènes de conflit au Liban, en Israël, en ex-Yougoslavie. Cette installation, se présentant sous la forme séduisante d’une constellation lumineuse joue sur l’effet de surprise car pour que le contenu des sphères deviennent perceptible, il faut s’en approcher de très près au point d’être cerné par l’installation. L’effet de choc opère et donne naissance au rire ou plus précisément à un ensemble de rire : le rire moqueur de la part du regardeur contre l’illusion qu’il se crée sur le monde qui l’entoure, rire qui cristallise l’inadéquation de l’homme avec son environnement et son mode de vie. Il s’agit là d’un rire sarcastique où le cynisme domine. Mais aussi rire qui permet de contrecarrer ou désamorcer une contradiction du réel, qui permet d’accepter la complémentarité des contraires, de la vie et la mort, et de mettre à bas la vanité et l’illusion d’une vie future pour accepter notre terrestre condition et en profiter. Cette œuvre met en jeu deux puissances du rire : le rire dominateur qui se moque des autres ou des choses sérieuses et le rire souverain qui met à distance de soi. La lucidité prévaut sur le rire qui dénonce les situations ridicules, pas nécessairement les fautes. « Qui rit de tout, ne s'indigne plus de rien »[3] mais l’artiste se prémunit de telle situation et continuellement émousse son regard et sa curiosité pour au détour d’une œuvre créer la surprise.
* 3 Un art du contexte dans le contexte de l’art*
La portée politique de l’œuvre n’est pas le cœur du travail de
En iconoclaste, il décompose les images comme nous l’avons vu précédemment et pose le problème de la prééminence de la communication sur le réel, l’homme politique en est une démonstration frappante. C’est pour cette raison que Ronald utilise fréquemment dans ses œuvres les figures politiques. Dans une oeuvre intitulée Duel Hexagonal (2007) présentée dans le cadre d’une exposition intitulée « Quand le politik s’en mêle », Ronald met en scène 6 personnalités de la vie politique française (alors en pleine campagne pour les présidentielles). Diffusées par des petits écrans disposés en cercle, les visages se font face et le jeu des regards peut commencer sur fond de musique d’Ennio Morricone. Les silhouettes se détachent de l’arrière-plan noir, l’artiste a prélevé ses pantins et a supprimé les contextes d’origine (le plus souvent des plateaux télévisés), les marionnettes de Ronald sont presque immobiles seuls les regards changent de direction créant ainsi une tension, un duel se prépare comme ceux des westerns. Ronald met à nu en un simulacre, il met en scène pour ne garder que le pire : un coup d’œil mauvais, un regard perçant, un battement de cil inquiétant ou encore un regard plein de malice. C’est à l’organe de vision que ces personnalités sont réduites et qu’elles expriment les passions bonnes ou mauvaises qui les animent. Le regard dans cette œuvre de
Play it again Marcel, installation réalisée en 2005, consiste en une triple projection. En vis-à-vis Marcel Duchamp et les figures marquantes de notre histoire récentes, présidents, dictateurs, et terroristes se succèdent. Ainsi Duchamp, de jouer au jeu des questions-réponses en faisant la démonstration de l’absurdité des discours politique. Mais c’est le jeu et le rapport de force qui s’en suit qui fait œuvre autour de cette échiquier dont chaque case est animée, l’histoire de l’art se joue ou se rejoue tout comme l’histoire du monde, il y a de la fatalité dans cette œuvre de par l’attitude désabusé de Marcel Duchamp, celui qui a tout dit et ne peut que se taire, celui qui est le témoin de l’impuissance de l’art à se relever après l’attentat commis avec l’urinoir en 1917. Grand amateur de jeux de mots et d’échecs, c’est la pensée qui prime chez Duchamp mais de manière incisive au sens où la puissance et la rapidité de réflexion sont les atouts indispensables, pour ce type de joute car ne nous y trompons pas, il s’agit bien de rapport de force et de combat. L’art n’en sortira pas indemne et le fardeau est lourd pour ceux qui tentent l’aventure en tant qu’artiste.
Enfin, Les abrutis, œuvre réalisée en 2006, qui se présente sous la forme d’une double projection sur des sphères gigantesques. Les images projetées sont des scènes des plus grands rassemblements de personnes de par le monde. Le pèlerinage à la Mecque, le public lors d’un concert de David Bowie, la foule en délire dans un stade de football. Ici encore l’image de ces marées humaines devient une abstraction, l’individu s’efface pour ne devenir que l’un des éléments d’un motif plus vaste. La singularité est gommée et met en avant la frénésie qui opère lorsque l’individu se noie dans un « corps-masse »[4] pour reprendre l’expression de Paul Ardenne.
Les réflexions posées par les œuvres de Ronald en ce qui concerne l’histoire de l’image et la position de l’artiste par rapport à l’histoire de l’Art se font à un moment ou comme le précise Laurent Gerverau : la confusion des genres et la confusion des images sont le 1er danger de notre époque[5], en précisant qu’il est difficile de savoir à quoi nous avons affaire en matière d’images. La perméabilité des champs de création et la récupération systématique des idées par le rouleau compresseur qu’est la publicité en sont probablement les principales raisons.
* quand tout est dit *
L’œuvre de
Il anime les photographies et fige les vidéos dans une volonté d’épuisement de l’image, en un combat mené à bras le corps. Proche de ce qu’élabore Hakim Bey avec « Le Sabotage Artistique » mettant à l’honneur « la création par la destruction » dans une « volonté de provoquer un choc esthétique »[6].
Ronald éprouve le réel par un travail sur ses multiples représentations car comme l’explique Clément Rosset[9] la représentation est une illusion, un double qui est paradoxalement lui-même et l’autre dans le même temps. Tout est affaire d’image car même pour l’individu c’est l’apparence qui prime. Le nombre d’images va grandissant, tout doit être imagé, nous sommes submergé alors qui mieux qu’un artiste peut être le contestateur, le déterminé adversaire de cette asphyxiante culture[10]. Ainsi Ronald met en garde sur ce que l’on nous montre mais également sur le fait que l’action de regarder est engagée et ne doit pas être perçue comme passive car dans le pire des scénarii, l’humain pourrait en être dépossédé au profit de la machine[11].
« Pourquoi la question de l’image se pose-t-elle invariablement en termes de combat ?
Ne serait-ce pas justement parce qu’en elle se joue quelque chose qui a à voir avec la définition de la paix ?[12]
Yann Perol
[1] Hakim Bey, T.A.Z. , Paris, Ed. De l’Eclat, 1997
[2] Jean Michel Ribes, Le rire de résistance, ouvrage collectif, Paris, co-édition Théâtre du Rond-Point et Beaux Arts éditions, 2007
[3] Jean-Noël Dumont, La dérision, arme dérisoire contre le fanatisme, Le Figaro du
[4]
[5] Laurent Gervereau, Un siècle de manipulation par l’image, Paris, Ed. Songy, 2000
[6] Hakim Bey, L’art du Chaos, Hambourg, Nautilus, 2000.
[7]
[8] Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Paris, Ed. de
[9] Clément Rosset, le réel et son double, Paris , Ed. Gallimard, 1976
[10] Jean Dubuffet, op. cit.
[11] Paul Virilio, la machine de vision, Paris, Ed. Grasset, 1988
[12] Marie-José Mondzain, Le commerce des regards, Paris, Ed. du Seuil, 2003, p. 141